Maintes fois déjà, je me suis posée des questions sur l'existence, l'essence de la vie. J'essaie de comprendre. Les notions que j'avais en moi jusque là tendent à disparaître. Elles s'éparpillent dans le creux de mon esprit, dans l'abîme de mon âme. Elles fondent, se vaporisent et disparaissent. Elles s'écroulent car ma vision de la chose change.

Je ne suis plus cette petite fille qui voyait le monde en rose, qui savait déjà ce qu'elle voulait faire de sa vie - en l'occurrence étudier, avoir de bons diplômes, un travail honnête avec un bon salaire, une vie confortable, fonder un foyer chaleureux, et pour finir, mourir tranquillement, en vieille dame, dans son lit douillet... des espérances bien sûr !

Petite fille, le monde était quand même un havre de paix. Sécurité Bon Dieu ! On est loin de se douter de toute l'horreur qu'il renferme. Des atrocités en perpétuité. Des gens qui souffrent, la douleur sur les visages, la mort, la haine...

Petite fille, on entend certes la mort, mais on se dit qu'on n'est pas concerné ; que les nôtres ne sont pas concernés... Balivernes ! Eh ben la mort elle touche tout et tout le monde. Elle ne cogne pas. Elle entre et disparaît avec des gens qui sont chers à quelqu'un quelque part sur Terre.

Je ne sais pas si le fait d'avoir pris conscience de la souffrance du monde m'a désillusionné, mais en tout cas je ne comprends plus. On vit, on se bat pour réussir. On conduit des voitures de luxe, on vit dans de jolies maisons, on paye des écoles chères à nos enfants, on leur donne une belle éducation, on cherche à avoir un rang social important... et vous savez ce qu'on récolte ? Eh ben on perd son âme ! Le luxe, le confort, le beau... et pendant ce temps, des gens comme nous attendent tranquillement que la fin les libèrent de leur enfer... Et ces gens qui n'ont de la vie que les tourments et le côté sombre, on les évite, on les regarde avec dédain, comme s'ils étaient des misérables, des éléments perturbateurs, qui dérangent la stabilité et le rayonnement de notre beau petit monde !

Mais qu'est-ce qu'on cherche bon sang ? C'est quoi le but ? Le confort, le luxe, ok mais à quelles fins ? Qu'est-ce qu'ils donnent à notre âme ? Et eux ? Pourquoi nous et pas eux ? Pourquoi les forts écrasent-ils les faibles ? A quoi ça sert ? Répondez ! Répondez donc ! A quoi ça sert de se créer son joli petit monde si c'est pour vouloir y vivre tranquillement avec les siens, dans sa coquille, et faire comme si tout allait bien, comme si dans les rues personne ne mendie, personne n'a faim, personne ne souffre, personne ne pleure, personne, personne...

C'est parfait de se battre pour réussir, mais si ce n'est que pour se tasser dans son monde et ne penser qu'à ses petits plaisirs, c'est peine perdue. Se battre oui, mais pour rendre le monde meilleur, ôter leurs supplices aux malheureux... Pour pouvoir profiter ensemble de la beauté du monde.

Bon Dieu ! On m'a dit que le monde est parfait parce qu'il y a le Bien et le Mal, l'Obscurité et la Lumière, en plus simple : il y a du tout. Mais qui choisis donc de qui va à gauche et qui va à droite ? Etait-ce le destin de ce monsieur de finir sa vie sur cette natte, en pleine rue, sans membres, sans étincelles dans le regard, triste, nauséabond, sacrément seul avec sa douleur ? Si c'est ça, eh ben tu crains grave monsieur destin...